Selon la théorie économique, du montant de l’épargne dépend celui des investissements, dont on mesure l’importance pour sortir de la spirale du sous-développement et réduire, à défaut de l’éradiquer, la paupérisation. Rapportée au PIB, l’épargne domestique brute au Sénégal, c’est-à-dire la somme de l’épargne des ménages, des entreprises, des administrations publiques représente 26,9% en 2022 dont 18% pour l'épargne privée (ménages et entreprises).
En termes de comparaison, en 45 ans (de 1960 à 2005), l’épargne domestique brut n’a cru que de l'ordre de 39 % au Sénégal. Globalement, l'épargne domestique représente la différence entre le PIB et les dépenses de consommation finale (l'ensemble de la consommation du pays pendant une période donnée). De manière plus précise, il s'agit de la partie du revenu national disponible, qui n'est pas affectée à la dépense de consommation finale, celle des ménages ou celle du gouvernement. Cet indicateur tire son utilité du fait qu'il renseigne sur la capacité du pays à débloquer ses propres capitaux pour les investissements, autrement dit, la non dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers.
Or, avec un niveau de mobilisation insuffisant pour alimenter les investissements et un secteur financier peu développé, l’ambition du Sénégal à travers le plan quinquennal 2025-2029 de lever un financement domestique de 18 500 milliards de FCFA paraît plutôt démesurée. Une gageure-même, du moins sans les revenus additionnels du pétrole et du gaz. Et encore… Il ne faudra pas moins de cinq ans pour que ces derniers commencent à abonder de manière conséquente le budget de l’Etat.
Parmi les facteurs principaux qui expliquent la faiblesse de l’épargne nationale, il y a la faiblesse du taux d’inclusion financière (22,5% en 2022), un des plus faibles de l’UEMOA malgré un taux élargi de 59,7%. En valeur absolue, le taux d’épargne nationale est estimé à environ 3000 milliards de FCfa soit 2,3 milliards d’euros, répartis entre secteur bancaire classique (60%), systèmes informels-tontines- (environ 30%) et autres investissements (10%). Cette insuffisance de l'épargne domestique se traduit par un déséquilibre significatif de toutes les balances de paiements courants.
Dans ces conditions et depuis son indépendance, le Sénégal s'est tourné de plus en plus vers l'extérieur pour financer ses besoins, remédiant ainsi aux défaillances de son épargne nationale. Les ressources extérieures demeurent la seule alternative en dépit de ses conditions et perspectives progressivement incertaines, et de ses effets négatifs sur le déficit du compte courant de la balance des paiements.
Un profil très contraignant
Sur la période 2014-2023, l’économie du Sénégal a connu un dynamisme sans précèdent, qui s’est traduit par un taux de croissance moyen annuel de 6% contre 3.1% entre 2004 et 2013. Cette performance s’explique par la mise en œuvre d’infrastructures majeures, ainsi que des réformes structurelles améliorant le climat des affaires. Malgré les crises successives, dont les tensions politiques internes et géopolitiques multiples, la croissance économique est demeurée solide et stable autour de 4% en 2022 et 2023. Avec la production attendue du pétrole et du gaz en 2024, le pays est appelé à connaitre une nouvelle trajectoire de son dynamisme économique. Seulement, le financement de cette croissance solide, à travers l’architecture financière internationale actuelle, soulève des questions de viabilité des finances publiques.
La construction des infrastructures, à travers le financement extérieur, a entrainé une hausse significative de la dette publique qui est passée de 20 % du PIB en 2008 à plus de 80 % en 2023 soit bien plus que le seuil de 70% fixé dans le cadre communautaire de l’UEMOA. La situation de la dette s’est alourdie aussi du fait du recours au marché international des capitaux (6 milliards d’USD d’euro-obligations sur la période 2009-2024, représentant 20 % du stock de la dette) plus coûteux à cause de la perception du risque par les marchés financiers internationaux.
Même s’il faut bien le souligner, dans ce contexte d’endettement croissant, le Sénégal a souvent obtenu des garanties de crédit notamment de la BAD, qui lui ont permis de se prémunir contre le risque de change associé à ses emprunts en devise. Cependant en 2019, l’analyse de la viabilité de la dette a abouti à un relèvement du niveau de risque de surendettement de « faible » à « modéré ». Cette situation a considérablement augmenté le service de la dette qui représente plus de 32% des recettes publiques en 2023 et réduit significativement la marge de manœuvre budgétaire du Gouvernement.
Ce resserrement des conditions financières est en déphasage avec les projections qui reposaient notamment sur les efforts d’assainissement budgétaire, particulièrement à travers la réduction des subventions énergétiques et l’augmentation des recettes fiscales, pour tendre vers un déficit budgétaire de 3 % du PIB d’ici à 2025. Ainsi le déficit courant devait diminuer considérablement, passant de 15,2% du PIB en 2023 à 10,9% en 2024 et 8,3% en 2025, avec le démarrage des exportations d’hydrocarbures.
L’économie sénégalaise a été considérablement affectée par la hausse des taux directeurs aux États-Unis et en Europe, et le resserrement de la politique monétaire de la BCEAO. Le coût de financement a augmenté, de manière drastique pour le Sénégal, sur le marché international des capitaux avec des écarts de taux d’intérêt (Spread EMBIG), illustrant la perception du risque, qui a atteint plus de 10%. Sur le plan régional également, les rendements moyens des obligations souveraines du Sénégal émises entre janvier 2023 et avril 2024 sont passés de 4,96 % à 7,78%. Par conséquent, cette situation a contribué à renchérir le service de la dette qui est passé de 23% en 2019 à 32% des recettes en 2023, et devient alors l’un des postes les plus importants du budget.
Ce service de la dette est même susceptible d’évincer les dépenses prioritaires essentielles pour garantir le potentiel de croissance du pays. Compte tenu du niveau élevé de la dette (80% du PIB) et de la faible marge pour conserver le risque « modéré » de surendettement, le resserrement des conditions financières entrave sérieusement les capacités de l’État à mobiliser les ressources pour financer son agenda de transformation structurelle. Les ressources concessionnelles demeurent modestes telles que la quote-part du pays au niveau du FMI qui est de 324 millions de DTS (droits de tirage spéciaux). La dégradation, il y a quelques mois, de la notation du pays n’est pas évidemment pour les choses, et pis, risque de le priver de ressources financières importantes auprès de certains bailleurs multilatéraux et bilatéraux.
Euroendettement
Compte tenu du besoin de financement de l’économie, la nécessité de chercher activement des sources de financement alternatives est devenue plus que nécessaire. Dans le cadre du nouveau document de politique nationale de développement ‘’Sénégal 2050’’, les nouvelles autorités du pays envisagent de recourir essentiellement au financement domestique afin de mobiliser quelque 18 500 milliards de FCFA pour financer le plan quinquennal 2025-2029. Un nouveau paradigme qui vise à inverser la tendance en substituant le recours au financement extérieur. Pour ce faire, le gouvernement veut compter essentiellement sur la politique fiscale et sur l’épargne de la diaspora pour financer les infrastructures, entre autres domaines.
A travers la loi de finances 2025 largement adoptée par les députés sénégalais, le mardi 24 décembre dernier, le gouvernement du Sénégal compte recourir à un emprunt obligataire dont les ressortissants sénégalais installés à l’étranger seraient les créanciers. Ce sont les fameux « diaspora bonds ». Ce vocable fait bien sûr penser aux eurobonds dont l’unité représente une obligation qui permet aux États ou aux entreprises d’emprunter dans une autre devise que celle du pays émetteur. Contrairement à ce que peut suggérer le nom, un eurobond est principalement libellé en dollar. On le distingue ainsi des deux autres catégories d’obligations que sont les obligations domestiques émises en monnaie locale et les obligations internationales émises en monnaie locale. Aussi à l’instar de beaucoup de pays africains, les eurobonds émises en devises représentent un lourd fardeau sur la dette extérieure du Sénégal.
Curieusement, concomitamment au regain de « patriotisme budgétaire » affiché par le gouvernement, celui-ci prévoit dans la loi de finances 2025 qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale, d’émettre dans les deux ans à venir, deux eurobonds à raison de 4,5 milliards de Fcfa par eurobond soit un peu plus de 9 000 milliards de Fcfa qui vont abonder le budget national. La stratégie viserait, dans une « approche proactive », à négocier des taux bas et des maturités longues. Qu’à cela ne tienne.
Devises ou monnaie locale ?
Pour de nombreuses raisons liées, d’une part, aux performances et au désendettement des économies africaines et, d’autre part, à une meilleure perception du risque de la dette africaine, des investisseurs étrangers ont favorisé depuis quelques années, le recours aux marchés internationaux.
En vue de lever des fonds sur les marchés intérieurs, le Sénégal a bien essayé une politique de développement du marché obligataire domestique. En fait, il s’agit plutôt du marché obligataire sous-régional dont la taille reste assez modeste et dans lequel, les initiatives se heurtent notamment à une insuffisance d’épargne liée à une faible inclusion financière.
Mais les taux pratiqués sur ce marché qui sont souvent plus défavorables que sur les marchés internationaux ont incité à s’orienter vers ces derniers. Sauf que les eurobonds émises en devises ont la particularité d’accentuer la vulnérabilité liée à l’asymétrie des devises et des maturités, tout en complexifiant la composition de la dette. En revanche, les émissions en monnaie locale ont l’« avantage » de transférer le risque d’inflation et le risque de change sur les investisseurs. L’émission en dette locale peut ainsi réduire le risque de défaut, car cette dernière n’est pas impactée par une dépréciation de la monnaie contrairement aux émissions d’eurobond.
Innovants comme… diaspora bonds
Selon les données de la Banque africaine de développement, il y aurait plus de 1700 milliards de dollars de ressources disponibles en Afrique et via la diaspora africaine. Cette manne financière pourrait permettre aux pays pré-émergents de s’endetter à des coûts raisonnables. En 2023, les fonds venus de la diaspora sénégalaise, principalement installée en Europe et aux Etats-Unis s’élevaient à 1 600 milliards de francs CFA (2,4 milliards d’euros), soit environ 10,5 % du PIB. Un montant nettement supérieur au 1,4 milliard d’euros d’aide publique au développement apportée par les institutions internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux.
L’objectif de recourir aux diaspora bonds ou Patriots bonds est d’orienter une partie de ces envois, aujourd’hui essentiellement utilisés pour la consommation de base ou des projets immobiliers individuels, vers des investissements productifs. Il s’agira de convaincre les potentiels souscripteurs de la transparence de l’utilisation des fonds, de les informer de l’avancée des projets et de mandater une société chargée de mobiliser l’épargne des Sénégalais de l’extérieur.
Au Sénégal, l’opération a déjà été effectuée en 2019 par la Banque de l’habitat du Sénégal, une société parapublique via la BRVM, pour financer des projets immobiliers privés dans la ville nouvelle de Diamniadio et près du lac Rose. Après une tournée dans 26 pays, le projet avait récolté une souscription de 22,8 milliards de francs CFA, contre 20 milliards espérés.
Lorsqu’une telle option est le fait d’un Etat, c’est autre chose. Les exemples pratiques remontent aux années 1930 en Chine et au Japon, et la pratique a été suivie par Israël et l'Inde plus tard, dans les années 1950. Cependant, dans ces deux derniers cas, les obligations diaspora ont été mobilisées dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas applicables à de nombreux pays africains.
Ainsi dans le cas d’Israël, l’obligation diaspora est ouverte à tous les juifs du monde entier, et elle est particulièrement efficace aux États-Unis. De son côté, l’Inde doit son succès au fait qu’elle a maintenu des liens solides avec sa Population Non-Résidente. Plus récemment, le Nigeria a émis avec succès un Diaspora Bond de 300 millions de dollars en 2017, tandis que l'Éthiopie a obtenu 58 millions de dollars en mars pour son « Renaissance Dam Bond », adossé au barrage de la Renaissance, en construction. Mais les débuts ont été poussifs. Entre 2007 et 2011, l'Éthiopie, le Ghana et le Kenya ont tour à tour échoué à mobiliser suffisamment de demande pour trois Diaspora Bonds.
En d’autres termes, les exemples couronnés de réussite en matière d’investissement de la diaspora ne sont pas nombreux à l’échelle mondiale. Les recherches et l’expérience démontrent qu’une proposition d’investissement doit être attractive pour que la diaspora investisse dans son pays d’origine.
Comme pour toute autre possibilité d’investissement, la diaspora évaluera soigneusement les risques et les avantages. Même s’ils ont un profond sentiment d’attachement à leur pays d’origine et veulent contribuer à son développement, les membres de la diaspora insistent pour investir, sur l’existence d’un environnement économiquement stable, sans risque pour le rapatriement des intérêts et des capitaux, et sans risque monétaire. Alors la question est de savoir si ces conditions sont-elles réunies au Sénégal ?
Souples et difficiles
Concrètement, le détenteur de l’obligation Diaspora prête une somme et reçoit chaque année à la même date, le versement des intérêts liés à ce prêt. C’est ce que l’on appelle le coupon. Pour l’Etat, contrairement aux capitaux spéculatifs à court terme des investisseurs internationaux classiques, les flux provenant des obligations Diaspora sont des ressources à long terme qui alimentent l’économie nationale. De plus, dans des situations de crise financière, qui se traduisent notamment par une raréfaction des devises, l’Etat peut aussi émettre des emprunts obligataires à destination de la diaspora, dans le but de stabiliser une balance des paiements en déséquilibre plus ou moins chronique.
Mais, si les obligations de la diaspora sont un vecteur important de collecte de fonds, les facteurs essentiels à leur succès en Afrique sont à la fois souples et difficiles. Un marketing intensif basé sur des données désagrégées sur la diaspora et une amélioration du crédit pour attirer les investisseurs et réduire la perception du risque, sont des préalables nécessaires.
Par ailleurs et pas des moindres, il faut surtout lever la barrière des doutes sur la capacité du gouvernement à rembourser. Même si la diaspora peut être plus susceptible d’étudier une possibilité d’investissement au Sénégal que les investisseurs étrangers, en raison du niveau accru de familiarité ou de patriotisme, elle cherchera toujours à maximiser son retour sur investissement (payback).
En outre, contrairement à un chef d’entreprise, les membres de la diaspora qui ont de l’argent de côté ne savent pas souvent structurer leur épargne. De plus, les frais (environ 1 %) de la Banque Centrale pour le rapatriement des fonds de la diaspora de l’UEMOA quel que soit l’endroit où ils sont investis, seraient de nature à freiner l’élan.
A ce titre, la perspective implique notamment de bâtir un marché obligataire domestique efficient, notamment en monnaie locale. Un tel marché permettra notamment, l’atténuation de la dépendance à la dette en monnaie étrangère. En somme, les emprunts obligataires ciblant la diaspora permettent aux gouvernements de mobiliser l’épargne des migrants et pas seulement leurs revenus, et de se focaliser davantage sur les investissements à long terme. Seulement, la diaspora n’est pas la panacée aux maux du Sénégal. La décision de cibler la diaspora ne doit pas être prise à la légère ou considérée comme une « promesse de gain rapide ». La plupart des exemples couronnés de réussite ont demandé un investissement considérable en temps, pour planifier et concevoir le produit, et des ressources importantes pour les exécuter et atteindre la diaspora.
Des créances en titres financiers
Le 14 décembre 2023, la Sonatel pour financer le déploiement de la licence 5G et la poursuite de la fibre optique, a lancé un emprunt obligataire plutôt innovant à travers une titrisation de créances. A travers le Fctc (Fonds Commun de Titrisation de Créances) Sonatel, du nom de l’emprunt obligataire, l’entreprise a pu récolter quelque 75 milliards de Fcfa par les soins du consortium sénégalais Invictus Financial Capital (IFC), société d'intermédiation et KF Titrisation, une société de gestion de fonds commun de titrisation de créances.
C’est la toute première opération de titrisation jamais réalisée dans le secteur des télécommunications en Afrique de l'Ouest. Un type de financements dit structuré et à forte valeur ajoutée, dont la particularité est de transférer le risque à l’investisseur. Outre la Sonatel,le groupe Teylium Properties a procédé, le 20 mai 2021, au lancement de son Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC) par appel public à l’épargne sur le marché financier de l’union monétaire ouest africaine (UMOA) denommé « FCTC TEYLIUM IMMO 7% 2021-2028 » , pour un montant de 20 milliards de FCFA (30 millions d’euros).
Source alternative de financement, la titrisation est une ingénierie financière qui consiste à transférer à des investisseurs des actifs financiers tels que des créances en les transformant en titres financiers émis sur le marché des capitaux via un véhicule financier dédié (appelé fond commun de titrisation en zone UEMOA).
Apparu il y a environ 60 ans aux Etats-Unis, la titrisation s’est progressivement répandue dans le monde comme un véritable outil de financement ou de placement financier, avant de connaître un ralentissement pendant la crise des subprimes (aux USA) ; crise durant laquelle cet instrument était en première ligne.
Aujourd’hui, le marché de titrisation a retrouvé son dynamisme mondial, grâce à un meilleur encadrement de cette technique.
Concernant la zone UMEOA, depuis 2014, plus de 12 opérations de titrisation ont été réalisées pour un montant de 1.065,8 milliards de francs CFA, dont six ont eu lieu au cours des seules deux dernières années, selon l’Autorité des marchés financiers de l’Union monétaire ouest-africaine (AMF-UMOA), anciennement le CREPMF. Cela confirme non seulement que le marché a adopté cette technique de financement, mais que la titrisation a aussi un important potentiel dans la zone UEMOA et en Afrique. Cependant, ce potentiel est très loin d’être pleinement exploité notamment en raison d’un cadre réglementaire à améliorer et d’une méconnaissance de cette technique par les acteurs économiques de la zone.
Lejecos Magazine
En termes de comparaison, en 45 ans (de 1960 à 2005), l’épargne domestique brut n’a cru que de l'ordre de 39 % au Sénégal. Globalement, l'épargne domestique représente la différence entre le PIB et les dépenses de consommation finale (l'ensemble de la consommation du pays pendant une période donnée). De manière plus précise, il s'agit de la partie du revenu national disponible, qui n'est pas affectée à la dépense de consommation finale, celle des ménages ou celle du gouvernement. Cet indicateur tire son utilité du fait qu'il renseigne sur la capacité du pays à débloquer ses propres capitaux pour les investissements, autrement dit, la non dépendance vis-à-vis des capitaux étrangers.
Or, avec un niveau de mobilisation insuffisant pour alimenter les investissements et un secteur financier peu développé, l’ambition du Sénégal à travers le plan quinquennal 2025-2029 de lever un financement domestique de 18 500 milliards de FCFA paraît plutôt démesurée. Une gageure-même, du moins sans les revenus additionnels du pétrole et du gaz. Et encore… Il ne faudra pas moins de cinq ans pour que ces derniers commencent à abonder de manière conséquente le budget de l’Etat.
Parmi les facteurs principaux qui expliquent la faiblesse de l’épargne nationale, il y a la faiblesse du taux d’inclusion financière (22,5% en 2022), un des plus faibles de l’UEMOA malgré un taux élargi de 59,7%. En valeur absolue, le taux d’épargne nationale est estimé à environ 3000 milliards de FCfa soit 2,3 milliards d’euros, répartis entre secteur bancaire classique (60%), systèmes informels-tontines- (environ 30%) et autres investissements (10%). Cette insuffisance de l'épargne domestique se traduit par un déséquilibre significatif de toutes les balances de paiements courants.
Dans ces conditions et depuis son indépendance, le Sénégal s'est tourné de plus en plus vers l'extérieur pour financer ses besoins, remédiant ainsi aux défaillances de son épargne nationale. Les ressources extérieures demeurent la seule alternative en dépit de ses conditions et perspectives progressivement incertaines, et de ses effets négatifs sur le déficit du compte courant de la balance des paiements.
Un profil très contraignant
Sur la période 2014-2023, l’économie du Sénégal a connu un dynamisme sans précèdent, qui s’est traduit par un taux de croissance moyen annuel de 6% contre 3.1% entre 2004 et 2013. Cette performance s’explique par la mise en œuvre d’infrastructures majeures, ainsi que des réformes structurelles améliorant le climat des affaires. Malgré les crises successives, dont les tensions politiques internes et géopolitiques multiples, la croissance économique est demeurée solide et stable autour de 4% en 2022 et 2023. Avec la production attendue du pétrole et du gaz en 2024, le pays est appelé à connaitre une nouvelle trajectoire de son dynamisme économique. Seulement, le financement de cette croissance solide, à travers l’architecture financière internationale actuelle, soulève des questions de viabilité des finances publiques.
La construction des infrastructures, à travers le financement extérieur, a entrainé une hausse significative de la dette publique qui est passée de 20 % du PIB en 2008 à plus de 80 % en 2023 soit bien plus que le seuil de 70% fixé dans le cadre communautaire de l’UEMOA. La situation de la dette s’est alourdie aussi du fait du recours au marché international des capitaux (6 milliards d’USD d’euro-obligations sur la période 2009-2024, représentant 20 % du stock de la dette) plus coûteux à cause de la perception du risque par les marchés financiers internationaux.
Même s’il faut bien le souligner, dans ce contexte d’endettement croissant, le Sénégal a souvent obtenu des garanties de crédit notamment de la BAD, qui lui ont permis de se prémunir contre le risque de change associé à ses emprunts en devise. Cependant en 2019, l’analyse de la viabilité de la dette a abouti à un relèvement du niveau de risque de surendettement de « faible » à « modéré ». Cette situation a considérablement augmenté le service de la dette qui représente plus de 32% des recettes publiques en 2023 et réduit significativement la marge de manœuvre budgétaire du Gouvernement.
Ce resserrement des conditions financières est en déphasage avec les projections qui reposaient notamment sur les efforts d’assainissement budgétaire, particulièrement à travers la réduction des subventions énergétiques et l’augmentation des recettes fiscales, pour tendre vers un déficit budgétaire de 3 % du PIB d’ici à 2025. Ainsi le déficit courant devait diminuer considérablement, passant de 15,2% du PIB en 2023 à 10,9% en 2024 et 8,3% en 2025, avec le démarrage des exportations d’hydrocarbures.
L’économie sénégalaise a été considérablement affectée par la hausse des taux directeurs aux États-Unis et en Europe, et le resserrement de la politique monétaire de la BCEAO. Le coût de financement a augmenté, de manière drastique pour le Sénégal, sur le marché international des capitaux avec des écarts de taux d’intérêt (Spread EMBIG), illustrant la perception du risque, qui a atteint plus de 10%. Sur le plan régional également, les rendements moyens des obligations souveraines du Sénégal émises entre janvier 2023 et avril 2024 sont passés de 4,96 % à 7,78%. Par conséquent, cette situation a contribué à renchérir le service de la dette qui est passé de 23% en 2019 à 32% des recettes en 2023, et devient alors l’un des postes les plus importants du budget.
Ce service de la dette est même susceptible d’évincer les dépenses prioritaires essentielles pour garantir le potentiel de croissance du pays. Compte tenu du niveau élevé de la dette (80% du PIB) et de la faible marge pour conserver le risque « modéré » de surendettement, le resserrement des conditions financières entrave sérieusement les capacités de l’État à mobiliser les ressources pour financer son agenda de transformation structurelle. Les ressources concessionnelles demeurent modestes telles que la quote-part du pays au niveau du FMI qui est de 324 millions de DTS (droits de tirage spéciaux). La dégradation, il y a quelques mois, de la notation du pays n’est pas évidemment pour les choses, et pis, risque de le priver de ressources financières importantes auprès de certains bailleurs multilatéraux et bilatéraux.
Euroendettement
Compte tenu du besoin de financement de l’économie, la nécessité de chercher activement des sources de financement alternatives est devenue plus que nécessaire. Dans le cadre du nouveau document de politique nationale de développement ‘’Sénégal 2050’’, les nouvelles autorités du pays envisagent de recourir essentiellement au financement domestique afin de mobiliser quelque 18 500 milliards de FCFA pour financer le plan quinquennal 2025-2029. Un nouveau paradigme qui vise à inverser la tendance en substituant le recours au financement extérieur. Pour ce faire, le gouvernement veut compter essentiellement sur la politique fiscale et sur l’épargne de la diaspora pour financer les infrastructures, entre autres domaines.
A travers la loi de finances 2025 largement adoptée par les députés sénégalais, le mardi 24 décembre dernier, le gouvernement du Sénégal compte recourir à un emprunt obligataire dont les ressortissants sénégalais installés à l’étranger seraient les créanciers. Ce sont les fameux « diaspora bonds ». Ce vocable fait bien sûr penser aux eurobonds dont l’unité représente une obligation qui permet aux États ou aux entreprises d’emprunter dans une autre devise que celle du pays émetteur. Contrairement à ce que peut suggérer le nom, un eurobond est principalement libellé en dollar. On le distingue ainsi des deux autres catégories d’obligations que sont les obligations domestiques émises en monnaie locale et les obligations internationales émises en monnaie locale. Aussi à l’instar de beaucoup de pays africains, les eurobonds émises en devises représentent un lourd fardeau sur la dette extérieure du Sénégal.
Curieusement, concomitamment au regain de « patriotisme budgétaire » affiché par le gouvernement, celui-ci prévoit dans la loi de finances 2025 qui vient d’être votée à l’Assemblée nationale, d’émettre dans les deux ans à venir, deux eurobonds à raison de 4,5 milliards de Fcfa par eurobond soit un peu plus de 9 000 milliards de Fcfa qui vont abonder le budget national. La stratégie viserait, dans une « approche proactive », à négocier des taux bas et des maturités longues. Qu’à cela ne tienne.
Devises ou monnaie locale ?
Pour de nombreuses raisons liées, d’une part, aux performances et au désendettement des économies africaines et, d’autre part, à une meilleure perception du risque de la dette africaine, des investisseurs étrangers ont favorisé depuis quelques années, le recours aux marchés internationaux.
En vue de lever des fonds sur les marchés intérieurs, le Sénégal a bien essayé une politique de développement du marché obligataire domestique. En fait, il s’agit plutôt du marché obligataire sous-régional dont la taille reste assez modeste et dans lequel, les initiatives se heurtent notamment à une insuffisance d’épargne liée à une faible inclusion financière.
Mais les taux pratiqués sur ce marché qui sont souvent plus défavorables que sur les marchés internationaux ont incité à s’orienter vers ces derniers. Sauf que les eurobonds émises en devises ont la particularité d’accentuer la vulnérabilité liée à l’asymétrie des devises et des maturités, tout en complexifiant la composition de la dette. En revanche, les émissions en monnaie locale ont l’« avantage » de transférer le risque d’inflation et le risque de change sur les investisseurs. L’émission en dette locale peut ainsi réduire le risque de défaut, car cette dernière n’est pas impactée par une dépréciation de la monnaie contrairement aux émissions d’eurobond.
Innovants comme… diaspora bonds
Selon les données de la Banque africaine de développement, il y aurait plus de 1700 milliards de dollars de ressources disponibles en Afrique et via la diaspora africaine. Cette manne financière pourrait permettre aux pays pré-émergents de s’endetter à des coûts raisonnables. En 2023, les fonds venus de la diaspora sénégalaise, principalement installée en Europe et aux Etats-Unis s’élevaient à 1 600 milliards de francs CFA (2,4 milliards d’euros), soit environ 10,5 % du PIB. Un montant nettement supérieur au 1,4 milliard d’euros d’aide publique au développement apportée par les institutions internationales et les bailleurs de fonds bilatéraux.
L’objectif de recourir aux diaspora bonds ou Patriots bonds est d’orienter une partie de ces envois, aujourd’hui essentiellement utilisés pour la consommation de base ou des projets immobiliers individuels, vers des investissements productifs. Il s’agira de convaincre les potentiels souscripteurs de la transparence de l’utilisation des fonds, de les informer de l’avancée des projets et de mandater une société chargée de mobiliser l’épargne des Sénégalais de l’extérieur.
Au Sénégal, l’opération a déjà été effectuée en 2019 par la Banque de l’habitat du Sénégal, une société parapublique via la BRVM, pour financer des projets immobiliers privés dans la ville nouvelle de Diamniadio et près du lac Rose. Après une tournée dans 26 pays, le projet avait récolté une souscription de 22,8 milliards de francs CFA, contre 20 milliards espérés.
Lorsqu’une telle option est le fait d’un Etat, c’est autre chose. Les exemples pratiques remontent aux années 1930 en Chine et au Japon, et la pratique a été suivie par Israël et l'Inde plus tard, dans les années 1950. Cependant, dans ces deux derniers cas, les obligations diaspora ont été mobilisées dans des circonstances exceptionnelles, qui ne sont pas applicables à de nombreux pays africains.
Ainsi dans le cas d’Israël, l’obligation diaspora est ouverte à tous les juifs du monde entier, et elle est particulièrement efficace aux États-Unis. De son côté, l’Inde doit son succès au fait qu’elle a maintenu des liens solides avec sa Population Non-Résidente. Plus récemment, le Nigeria a émis avec succès un Diaspora Bond de 300 millions de dollars en 2017, tandis que l'Éthiopie a obtenu 58 millions de dollars en mars pour son « Renaissance Dam Bond », adossé au barrage de la Renaissance, en construction. Mais les débuts ont été poussifs. Entre 2007 et 2011, l'Éthiopie, le Ghana et le Kenya ont tour à tour échoué à mobiliser suffisamment de demande pour trois Diaspora Bonds.
En d’autres termes, les exemples couronnés de réussite en matière d’investissement de la diaspora ne sont pas nombreux à l’échelle mondiale. Les recherches et l’expérience démontrent qu’une proposition d’investissement doit être attractive pour que la diaspora investisse dans son pays d’origine.
Comme pour toute autre possibilité d’investissement, la diaspora évaluera soigneusement les risques et les avantages. Même s’ils ont un profond sentiment d’attachement à leur pays d’origine et veulent contribuer à son développement, les membres de la diaspora insistent pour investir, sur l’existence d’un environnement économiquement stable, sans risque pour le rapatriement des intérêts et des capitaux, et sans risque monétaire. Alors la question est de savoir si ces conditions sont-elles réunies au Sénégal ?
Souples et difficiles
Concrètement, le détenteur de l’obligation Diaspora prête une somme et reçoit chaque année à la même date, le versement des intérêts liés à ce prêt. C’est ce que l’on appelle le coupon. Pour l’Etat, contrairement aux capitaux spéculatifs à court terme des investisseurs internationaux classiques, les flux provenant des obligations Diaspora sont des ressources à long terme qui alimentent l’économie nationale. De plus, dans des situations de crise financière, qui se traduisent notamment par une raréfaction des devises, l’Etat peut aussi émettre des emprunts obligataires à destination de la diaspora, dans le but de stabiliser une balance des paiements en déséquilibre plus ou moins chronique.
Mais, si les obligations de la diaspora sont un vecteur important de collecte de fonds, les facteurs essentiels à leur succès en Afrique sont à la fois souples et difficiles. Un marketing intensif basé sur des données désagrégées sur la diaspora et une amélioration du crédit pour attirer les investisseurs et réduire la perception du risque, sont des préalables nécessaires.
Par ailleurs et pas des moindres, il faut surtout lever la barrière des doutes sur la capacité du gouvernement à rembourser. Même si la diaspora peut être plus susceptible d’étudier une possibilité d’investissement au Sénégal que les investisseurs étrangers, en raison du niveau accru de familiarité ou de patriotisme, elle cherchera toujours à maximiser son retour sur investissement (payback).
En outre, contrairement à un chef d’entreprise, les membres de la diaspora qui ont de l’argent de côté ne savent pas souvent structurer leur épargne. De plus, les frais (environ 1 %) de la Banque Centrale pour le rapatriement des fonds de la diaspora de l’UEMOA quel que soit l’endroit où ils sont investis, seraient de nature à freiner l’élan.
A ce titre, la perspective implique notamment de bâtir un marché obligataire domestique efficient, notamment en monnaie locale. Un tel marché permettra notamment, l’atténuation de la dépendance à la dette en monnaie étrangère. En somme, les emprunts obligataires ciblant la diaspora permettent aux gouvernements de mobiliser l’épargne des migrants et pas seulement leurs revenus, et de se focaliser davantage sur les investissements à long terme. Seulement, la diaspora n’est pas la panacée aux maux du Sénégal. La décision de cibler la diaspora ne doit pas être prise à la légère ou considérée comme une « promesse de gain rapide ». La plupart des exemples couronnés de réussite ont demandé un investissement considérable en temps, pour planifier et concevoir le produit, et des ressources importantes pour les exécuter et atteindre la diaspora.
Des créances en titres financiers
Le 14 décembre 2023, la Sonatel pour financer le déploiement de la licence 5G et la poursuite de la fibre optique, a lancé un emprunt obligataire plutôt innovant à travers une titrisation de créances. A travers le Fctc (Fonds Commun de Titrisation de Créances) Sonatel, du nom de l’emprunt obligataire, l’entreprise a pu récolter quelque 75 milliards de Fcfa par les soins du consortium sénégalais Invictus Financial Capital (IFC), société d'intermédiation et KF Titrisation, une société de gestion de fonds commun de titrisation de créances.
C’est la toute première opération de titrisation jamais réalisée dans le secteur des télécommunications en Afrique de l'Ouest. Un type de financements dit structuré et à forte valeur ajoutée, dont la particularité est de transférer le risque à l’investisseur. Outre la Sonatel,le groupe Teylium Properties a procédé, le 20 mai 2021, au lancement de son Fonds Commun de Titrisation de Créances (FCTC) par appel public à l’épargne sur le marché financier de l’union monétaire ouest africaine (UMOA) denommé « FCTC TEYLIUM IMMO 7% 2021-2028 » , pour un montant de 20 milliards de FCFA (30 millions d’euros).
Source alternative de financement, la titrisation est une ingénierie financière qui consiste à transférer à des investisseurs des actifs financiers tels que des créances en les transformant en titres financiers émis sur le marché des capitaux via un véhicule financier dédié (appelé fond commun de titrisation en zone UEMOA).
Apparu il y a environ 60 ans aux Etats-Unis, la titrisation s’est progressivement répandue dans le monde comme un véritable outil de financement ou de placement financier, avant de connaître un ralentissement pendant la crise des subprimes (aux USA) ; crise durant laquelle cet instrument était en première ligne.
Aujourd’hui, le marché de titrisation a retrouvé son dynamisme mondial, grâce à un meilleur encadrement de cette technique.
Concernant la zone UMEOA, depuis 2014, plus de 12 opérations de titrisation ont été réalisées pour un montant de 1.065,8 milliards de francs CFA, dont six ont eu lieu au cours des seules deux dernières années, selon l’Autorité des marchés financiers de l’Union monétaire ouest-africaine (AMF-UMOA), anciennement le CREPMF. Cela confirme non seulement que le marché a adopté cette technique de financement, mais que la titrisation a aussi un important potentiel dans la zone UEMOA et en Afrique. Cependant, ce potentiel est très loin d’être pleinement exploité notamment en raison d’un cadre réglementaire à améliorer et d’une méconnaissance de cette technique par les acteurs économiques de la zone.
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